Je préfère prévenir chacun à l'avance, l'honnêteté intellectuelle n'étant pas vraiment de mise en ce bas monde: ce texte est protégé. Il constitue même un extrait de mémoire maîtrise d'ethnologie, déposé à l'université de Paris VII Denis Diderot, à l'U.F Anthropologie, Ethnologie, Sciences des religions, sous le titre "Monographie d’un quartier des haut(eur)s de Rouen", Mémoire de Maîtrise d’ethnologie de David Coulon, Session de Septembre 2003, Professeur: Pascal Dibie,Deuxième Lecteur: Jean Arlaud. Vos pouvez donc en citer des extrait en n'ommettant pas de donner ces références complètes, merci.
Nombreux sont ceux qui se lamentent ( en ces temps d’austerity) devant les incommodités dues à un manque de vie sociale et culturelle organisée ( en dehors du centre « pourri ») dans les banlieues « saines » ( dortoirs sans verdure, sans services, sans autonomie, sans aucun véritable rapport humain). Lamentations rhétoriques! En effet, si ce dont on déplore le manque dans les banlieues existait, ce serait le centre qui l’organiserait; ce même centre qui, en peu d’années a détruit toutes les cultures périphériques qui -oui, jusqu’à il y a quelques années- assuraient une vie à soi, et, au fond, libre, même dans les banlieues les plus pauvres ou carrément misérables.
Pier Paolo Pasolini, Il Corriere della sera, 9 décembre 1973.
- Les Sapins et les Vieux-Sapins: situés dans la partie Ouest du « quartier »; sont une des « portes d’entrée » principales des « Hauts de Rouen ». Séparés du quartier du Châtelet par une avenue et un rond-point. Ce sont les plus vieux quartiers de l’ensemble. Composés de vieux pavillons et d’immeubles construits à la fin des années cinquante.
- Le Châtelet et la Lombardie: sont deux quartiers assez homogènes, juxtaposés et au centre de l’ensemble « les Hauts de Rouen », comme enclavés. Pour s’y rendre il faut véritablement « entrer » dans le « quartier ». Peu de gens de Rouen s’y sont rendus et savent à quoi cela ressemble. Il y a une majorité de logements sociaux à étages, notamment une barre d’immeuble de plusieurs centaines de mètres de long, appelée la « Banane » du fait de sa forme, connue par beaucoup, et qui sert souvent tant aux politiciens qu’aux spécialistes (tel ce géographe qui me racontait comment il voyait tous les maux sociaux dans ces habitations) ou encore au quidam, de contre-modèle évident à un habitat dit « agréable ». Ce sont aussi les quartiers les plus pauvres. Tout participe à cette impression de pauvreté: le petit nombre de voitures modestes, âgées et abîmées sur les parkings; l’habillement modeste des enfants dans la rue; le délabrement même des immeubles. La population y est « la plus dépendante des prestations sociales » (selon un document de la ville de Rouen intitulé « Données sur la population et le logement », publié pour les conseillers de quartier par le service de prospective urbaine en septembre 2001 et établi à partir du recensement INSEE de 1999) et on y relève un taux de chômage de plus de 50% ( Source INSEE, recensement de la population de 1999)... C’est aussi le quartier le plus montré du doigt par les rouennais, celui censé recueillir le plus de délinquance et qui depuis longtemps voit traîner les « bandes de jeunes ». Des « bandes de jeunes » présentes, avant tout, parce que la population de ces quartiers est composée pour moitié d’individus ayant de 0 à 29 ans ( source INSEE, 1999). Cet ensemble a également la plus forte densité de population ( source INSEE, 1999). C’est également le quartier de l’enquête.
- La Grand-Mare: Quartier au Sud, séparé de la Lombardie par une plaine et un complexe sportif. C’est le quartier le plus récent. De nombreux habitants y sont propriétaires de leurs appartements ou de leurs pavillons.
Depuis 1989 l’ensemble des quartiers a été dénommé « Les Hauts de Rouen » par le maire de l’époque Jean Lecanuet. Une dénomination qui depuis est largement utilisée, notamment dans les médias régionaux ( Paris Normandie, France 3, Radio France), bien qu’elle n’ait pas été reconnue officiellement pour constituer une nouvelle dénomination administrative[3]. « Les Hauts de Rouen » est devenu un nom propre pour les quartiers concernés. Le fait que cette dénomination soit due à l’ancien maire de Rouen, qui fut une figure de la ville et de la politique nationale, peut expliquer qu’elle ait été si facilement acceptée par les médias. Une dénomination qui apparaît si « naturelle », après tout les « Hauts de Rouen » sont bien sur les hauteurs de Rouen, qu’elle en est devenue définitivement « vraie ». Reste que re-dénommer un quartier, et même un ensemble de quartiers, sous la même unité nominale, et donc spatiale, n’est pas anodin. « Nommer l’espace c’est reproduire du territoire, les noms ont une influence décisive sur le développement d’une identité groupale et territoriale. On peut également dire que la dénomination des lieux est un instrument de contrôle social de l’espace par un groupe donné et que d’une certaine façon, c’est cette appropriation dénominative de l’espace qui transforme ce dernier en territoire »[4]. Cette re-nomination n’est donc pas le fait des habitants, et il faut voir la dimension symbolique d’une re-nomination de son quartier par une « autorité toponymique »[5] perçue, à travers l’expérience de la politique locale, l’absence sans cesse relever des élus dans le « quartier »; comme distante, inopportune parfois, et étrangère. De même que « Londres » ou « Moscou » sont des exonymes, parce que des appellations toponymiques faites dans une langue pour désigner un lieu situé en dehors du territoire où cette même langue est officielle, « les Hauts de Rouen » ne semble pas être une appellation dans la « langue » locale[6].
L’absence d’unanimité sur cette dénomination englobante est flagrante dans les différents quartiers (sûrement pour des raisons différentes). Chez les habitants de la Grand-Mare j’ai souvent eu l’occasion d’entendre, lors d’un échange d’adresse avec des habitants, ou encore lors du conseil du quartier[7], les gens bien me préciser qu’ils habitaient à la Grand-Mare et que ce n’était « pas pareil »; s’offusquant que l’on puisse confondre les deux (sous-)quartiers et insistant sur le caractère beaucoup plus sûr de leur propre quartier en ce qui concernait la délinquance.
L’appréhension de l’espace par petites entités, comme le quartier, permet encore de préserver un peu de son humanité et c’est sûrement cela qui fait encore sa pertinence. Cette échelle géographique semble correspondre à la façon de voir l’espace ou encore de le vivre. Le quartier se laisse voir, se laisse embrasser du regard, en un seul paysage. Il peut être quasiment vu d’un seul coup d’oeil en certains points de vue, certains axes, certaines ouvertures entre les immeubles. On peut le voir d’une frontière à l’autre. Ainsi beaucoup de gens en attendant le bus pour descendre en ville, discutent tranquillement sur la place de Musset. En voyant une première fois passer le bus sur le côté Est de la place où il y a un arrêt, ils laissent la conversation là où elle était et ils ne leur restent plus alors qu’à couper par la place, traverser une passerelle qui va les mener sur le seuil Ouest du quartier du Châtelet où se trouve un autre arrêt; pendant que le bus, suivant son trajet habituel, contourne le quartier par le Nord. Le rythme de marche et l’empressement sont variables et fonction de l’heure à laquelle on se trouve, et donc de la qualité du trafic routier. En heure de pointe on peut être à peu près sûr, procédant par anticipation, qu’il y aura quelqu’un pour demander un arrêt au bus à l’arrêt intermédiaire situé au Nord des immeubles qui entourent la place. Un arrêt supplémentaire qui laisse largement le temps de rallier l’arrêt Ouest par la passerelle. Le soir, ce sont plutôt les « jeunes » qui procèdent ainsi, mais ils doivent alors courir jusqu’à l’arrêt Ouest pour récupérer le bus quasiment vide. Le quartier s’embrasse d’un seul regard, il est à taille humaine.
Quant à être au Châtelet, ce n’est pas être à la Lombardie et inversement. Quand je suis au café au Châtelet, je vois très peu souvent les mêmes aux Sapins ou à la Grand-Mare. Exceptionnellement, je croise des « jeunes » du Châtelet au bar de la « Z.U.P. » situé à quelques centaines de mètres de leur quartier. En m’étonnant de les voir ici, alors qu’habituellement ils se montrent plutôt dans le Châtelet, leur lieu, plusieurs ont eu la réponse: « Ca nous change d’air ». Malgré la faible distance physique qu’il y a entre ces deux lieux, il n’y a rien de moins étonnant que de voir un habitant changer ses habitudes géographiques, car cela implique de devoir fréquenter de nouvelles têtes ou même des têtes que l’on n’a pas envie de voir (Le bar de la « ZUP » est fréquenté par beaucoup de kabyles, souvent des harkis ou fils de harkis, qui veulent boire de l’alcool et en même temps ne pas fréquenter le café de la place qui a la réputation d’accueillir des piliers de bar.). Ces changements d’habitudes sont « l’exception qui confirme la règle ».
La vie de quartier et ses habitudes encore existantes, malgré l’impression de « no man’s land » ou les plaintes sans cesse nostalgiques dénonçant « un quartier (devenu) mort »; permettent de conserver une conscience spatiale des différents quartiers. Dans le savoir local on peut apprendre encore à identifier facilement les frontières, les différents seuils (des carrefours, des ronds-points, la rue elle-même, et plus rarement des immeubles[8]) ou encore les pôles (place du marché, commerces).
La désignation des « Hauts de Rouen » n’est pas opérante pour les habitants, elle semble l’être un peu plus pour les non-habitants à qui elle offre une conscience simplifiée de cet espace. On ne peut pas avancer que la re-dénomination par l’ancien maire ait voulu viser ce résultat, bien au contraire elle a sans doute voulu faire oublier l’ancienne dénomination stigmatisante: « les Sapins », pour présenter une nouvelle image de ces quartiers. L’appellation « Les Hauts de Rouen » pose la question de la hauteur et de sa valeur symbolique dans la culture. La hauteur est associée dans notre culture, le plus souvent, à la verticalité, voire l’ascension, toutes choses valorisantes[9]. « Toute valorisation n’est-elle pas verticalisation? » écrit Gaston Bachelard et « La moindre colline, pour qui prend ses rêves dans la nature, est inspirée » [10]. Et Françoise Paul Levy et Marion Segaud.d’écrire, dans leur ouvrage sur l’anthropologie de l’espace : « Même si l’on doit réserver la possibilité qu’une société ait choisi « d’ignorer » la hauteur et la possibilité qu’il existe une langue pour laquelle, sauf abus de traduction, il n’y a pas de terme expressif du haut et du bas, on a choisi d’attirer l’attention sur cette dimension. Les données archéologiques les plus anciennes semblent d’ailleurs y inviter ( cf. les trous verticaux de l’habitat du Chatel perronien) de sorte que l’on peut se demander si la possibilité qu’ont les êtres humains d’expérimenter plusieurs positions du corps et de les relier entre elles de même que les caractéristiques physiques, géographiques du « monde naturel » avec ses montagnes, ses collines, ses hauteurs diverses mais aussi ses vallées ou ses plaines, etc., n’ont pas fait proposition dés l’origine d’une reconnaissance de la hauteur »[11]. En appréciant ces considérations sur la hauteur on peut penser, et cela semble avoir été l’intention initiale, que la re-dénomination politique « Les Hauts de Rouen » ait visé une revalorisation symbolique de ces quartiers stigmatisés. La hauteur du « quartier » qui sert encore d’argument politique et valorisant quand elle est opposée à l’encombrement de la ville basse et de sa pollution; la hauteur y est alors synonyme d’espace, d’air sain et non-pollué sur le plateau géographique balayé par le vent[12]. « Quel que soit cependant le crédit que l’on ait ou non envie de faire à ce genre d’arguments, la prise en compte de la hauteur présente l’avantage d’associer le répertoire de la nature à celui de la culture tout en montrant que « le dernier mot » appartient au symbolique. Un lieu peut ainsi être haut socialement et haut géographiquement, mais il peut être également haut socialement sans matérialisation d’une hauteur physique et il peut être encore haut socialement tout en étant bas physiquement, etc. »[13]. « Les Hauts de Rouen » répondent encore à une autre catégorie: bas socialement mais hauts physiquement; ce qui semble constituer un paradoxe ou une contradiction entre la volonté politique et la perception symbolique, toujours négative, des lieux de la hauteur de Rouen. L’insertion de la hauteur dans la perception nominative et linguistique des quartiers des « Hauts de Rouen » a simplement permis de nommer, un peu plus, la différence entre ces quartiers stigmatisés et le reste de la ville, en soulignant les oppositions géographiques et topographiques d’un haut et d’un bas exprimant, sur le mode du « naturel », des oppositions sociales. Et c’est la notion d’une limite entre un haut et un bas qui entre ici en jeu[14]. Une limite qui permet une meilleure localisation des « quartiers » et donc une meilleure distinction, voire ségrégation des espaces: Il suffit alors pour ne pas vouloir aller dans ces quartiers, de ne pas monter, de ne pas aller sur les hauteurs: une rue qui monte vers les hauteurs de la ville mène vers « Les Hauts de Rouen », et pour certains il faut déjà faire demi-tour, cela ne sert à rien de continuer sur cette route, on se trompe de chemin, on se dirige vers la partie stigmatisée de la ville... La hauteur devient un indicateur efficace et sûr pour s’orienter par rapport au « quartier », à l’espace stigmatisé, et permet la symbolisation d’une frontière sûre, identifiable par tous et inévitable pour ceux qui veulent éviter le « quartier ». Les lieux portent en eux, dans leur dénomination même, la description des indications physiques les plus simples et les plus efficaces pour distinguer le « quartier » du reste de la ville: ce qui est à éviter c’est la hauteur, la hauteur est identifiable par tous[15]. D’aussi simples repères ne sont sans doute qu’une coïncidence, mais sont redoutablement opérants pour les individus voulant éviter le quartier. La Hauteur s’érige en mur et la frontière naturelle qu’elle constitue, rejette un peu plus au loin les « quartiers »[16]. Le mur[17] de la hauteur ayant pour effet de renforcer la distance sociale recherchée par certains, par une distance physique exprimée à la fois sur le plan horizontal et vertical. Si l’espace social, en s’inscrivant durablement dans l’espace physique, subit un effet de naturalisation[18], il est alors troublant de voir que c’est un critère naturel et physique ( une forte déclivité, une hauteur) qui sert de limite pour différencier les espaces socialement bas et haut, comme un renforcement encore de l’effet de naturalisation et sa véritable preuve dans le substrat même.
Evidemment en ne connaissant que les limites extérieures du « quartier », on ne peut pas en connaître la structure intérieure et donc on n’a plus besoin de vouloir savoir nommer cet intérieur. Pendant que les habitants vivent des circonstances et la distance annulée qui font des séries de lieux[19]concrètes dans leurs quartiers, les autres nomment de loin l’endroit d’une désignation englobante, montrant une surface indifférenciée, un dedans lointain, voire vide ( dans laquelle on peut donc tout mettre, tous les stéréotypes appliqués à ces lieux). Pendant que les regards extérieurs voient l’unité d’un territoire stigmatisé ( comment alors avoir un sentiment d’appartenance à un territoire renommé, stigmatisé, indésirable, par et pour les autres? Et à qui peut bien appartenir un tel territoire si indésirable?), le regard de l’ethnologie voit les hommes faire les lieux. Des lieux assez nombreux pour faire exister un quartier à part entière; unité territoriale pertinente.
Si la dénomination du « quartier » reste très importante aux yeux des habitants, c’est qu’elle est partie entière de leur identité. Je ne connais pas de demande faite par des communautés pour une inscription de leur identité ethnique dans l’espace, permettant ainsi une visibilité des différentes origines ethniques des populations dans le « quartier », comme cela peut être le cas au Canada, à Montréal[20]. Il faut toutefois remarquer que la communauté des harkis de Rouen, notamment ceux habitants sur les « Hauts de Rouen », a demandé à avoir une inscription de leur identité de harkis dans l’espace public, à la suite du 25 Septembre 2001 qui a vu la création officielle d’une journée nationale pour les soldats harkis par le président de la république française Jacques Chirac. Ce qui leur a été accordé puisqu’un rond-point porte dorénavant leur nom, mais ce dernier ne se situe pas sur les « Hauts de Rouen », ni en centre-ville[21].
La mauvaise réputation du quartier du Châtelet date au moins de 1994, où le quartier a été surexposé médiatiquement à la suite d’une série d’émeutes qui aura duré 4 jours. De nombreux reportages ont été diffusés sur les chaînes de télévisions nationales. Les émeutes ont été provoquées à la suite de la mort d’un « jeune du quartier », tué par un agent de la force publique au Val de Reuil, une ville nouvelle dans le département de l’Eure à une trentaine de kilomètres de Rouen, lors d’un contrôle de police, alors que les « jeunes » circulaient dans une voiture volée[22]. Cet événement a profondément marqué les « jeunes » qui durant 4 nuits ont mis à sac le « quartier », brûlé de nombreuses voitures. L’état a dépêché des compagnies de C.R.S. et le « quartier » a été « bouclé » durant ces 4 nuits. Cet épisode du « quartier » n’a pas été pour le réhabiliter aux yeux du plus grand nombre. En rentrant dans la longue liste des « quartiers » à émeute le Châtelet est devenu un peu plus stigmatisé.
La mauvaise réputation du « quartier » est répandue dans la ville même, mais également aux alentours. Antoine qui est parti dans une ville, à une trentaine de kilomètres du « quartier », présenter la radio à des jeunes lycéens, est stupéfait de voir le public présent développer une image si négative des lieux. En leur demandant si quelqu’un s’est déjà rendu sur «les Hauts de Rouen », personne ne peut lui répondre à l’affirmative. C’est le plus souvent ce type d’avis qui agace ou désespère profondément les habitants du « quartier », ceux-ci voyant une profonde injustice dans les avis lancés sur le « quartier » par des gens qui ne s’y sont jamais rendus, qui ne le connaissent pas.
Les vols, la présence de « bandes de jeunes », la violence, la dégradation du bâti, la saleté, ou encore dans un registre un peu plus raciste, la forte présence d’immigrés ou simplement d’individus d’origine étrangère, peuvent être autant de griefs portés aux « Hauts de Rouen » et qui organisent la stigmatisation. La plupart du temps les habitants sentent une réticence de la part de leur interlocuteur quand ils annoncent habiter sur les « Hauts de Rouen ». Pour certains l’installation dans un tel quartier peut bouleverser les relations familiales, quand plus personne ne veut monter sur le « quartier », pas même les parents, de peur de se faire « casser » sa voiture : les invités ont peur de voir leur voiture endommagée et la famille hôte n’ose plus inviter quiconque de peur que cela se produise réellement. Un famille hôte qui peut aussi développer un sentiment de honte à accueillir les siens dans leur immeuble « délabré ». Une nouvelle installation sur le « quartier » peut aussi poser des « problèmes » pour l’obtention d’un travail. René, un travailleur de la régie de quartier[23] de 48 ans, raconte comment, en déménageant sur le quartier du Châtelet, il pense avoir perdu sa place à la Shell ( entreprise pétrolière installée sur la commune de Grand-Couronne, dans le sud de l’agglomération rouennaise, à une vingtaine de kilomètres du centre) et ce après dix ans de travail intérimaire comme terrasseur dans cette entreprise:
« - Je travaillais à la Shell Grand-Couronne, comme... faire du terrassement et tout. Au dernier moment, parce que j’ai dit au... au chef de chantier de la Shell que j’allais déménager. Parce qu’i z étaient dans... dans Rouen, que j’allais déménager. Alors je... je lui ai dit où j’allais habiter avant (de déménager). Alors lui le lendemain... le contrat i s’est fini... i z ont pas renouvelé le contrat.
- A cause d’un déménagement
- Ben oui...parce que . Ben ... ah vous allez habiter là-haut... sur le quartier là-haut... c’est tout.
- la société de travail temporaire vous a pas rappelé?
- Non m’a pas rappelé du tout. Même la Shell pas rappelé du tout. J’étais conscient de... ben j’ai regretté mais i... il était trop tard. Les HLM n’avaient proposé que euh... sur le quartier alors... c’est tout (...) Parce qu’on habite sur les Hauts de Rouen tout de suite euh... on est mal vu... c’est tout... pas grand chose à dire... pas grand chose (...) Dès qu’on voit l’adresse d’ici euh... c’est pas bon.
- vous pouvez pas mentir?
- Ah non je mens pas (rire)... ah non c’est vrai. Y en a beaucoup comme ça quand on donne l’adresse d’ici, i trouvent pas de travail (...) c’est la société qui veulent (sic) ça c’est pas nous. »
En arrivant sur le « quartier » René n’a pas retrouvé de travail, pour finalement obtenir un contrat de réinsertion à la « régie », où il est persuadé, tout comme le reste des salariés de son âge, qu’il va rester jusqu’à la retraite.
La stigmatisation du « quartier » est générale, même chez ceux dont la « rencontre » est le métier. Ayant travaillé comme journaliste à Radio France, j’ai pu observer la profonde méconnaissance sur la vie des « quartiers » ou de la politique de la ville qui reste tout de même un véritable sujet ( au sens journalistique du terme) et même un enjeu national; une réticence à faire des reportages sur ces quartiers[24], voire un profond mépris quant à la possession d’un savoir, même simplement informatif, sur ces lieux véritablement mis au ban[25]. Il n’y a pas d’information à avoir sur un tel lieu et personne ne souhaite en avoir parce qu’il n’y a aucune raison de s’intéresser à ce qui est fortement dévalorisé dans la société[26]. Ce type d’avis ou de comportement ne fait qu’aider un peu plus le développement des caricatures et stéréotypes dépréciateurs. Personne, chez les habitants, n’est prêt à déclarer qu’il n’y a pas de « problèmes » dans le « quartier », mais en revanche nombreux sont ceux qui en observent la complexité et leur édulcoration par le plus grand nombre. De nombreux habitants du « quartier » ont conscience de la perpétuation de stéréotypes simplistes, tant sur le plan médiatique que politique, qui ne servent en rien à l’amélioration de la situation sociale mais d’oripeaux face à des problèmes sociaux que personne n’est apte à résoudre, face à un chômage devant lequel les élus n’ont aucune solution viable à présenter devant les habitants.
La défense de son quartier ne se fait pas seulement pour le « quartier » mais pour les habitants eux-mêmes qui subissent sa mauvaise image, qui souhaitent pour la plupart sortir du sentiment de honte qu’ils ont à habiter les « Hauts de Rouen ». Dans le même temps la réhabilitation sociale du « quartier » semble impossible, tant la mixité sociale semble faible et le discours de défense ne jamais arriver aux oreilles de ceux qui en auraient le plus besoin. Et quand quelqu’un arrive à « sortir » du « quartier », par le biais d’études universitaires, ou d’un travail, il se garde le plus souvent d’indiquer son origine géographique et donc sociale. Dans des désirs d’ascension sociale, certains, notamment les filles qui, en comparaison avec les garçons, partent plus souvent qu’à leur tour faire des études universitaires; font le deuil de leurs origines dans le « quartier » et s’abstiennent de donner des éléments d’information qui permettraient peut-être à certains de mieux juger les quartiers populaires. Mais un tel discours les obligerait à faire valoir leur statut d’« expert » en tant qu’anciens habitants et trahirait leurs origines sociales, les renvoyant à un passé souvent honni. Fred, un collègue de travail, a également quitté le « quartier », mais au bout de longues étapes. Issu du « quartier », il y a fait toute sa scolarité jusqu’au BEP et vivait chez sa mère, avec sa soeur. A 22 ans il commence à travailler à la radio. Son inexpérience, le fait d’un premier emploi, l’empêche de prendre des initiatives. Sa mère souligne son manque d’autonomie et me raconte qu’elle fait ses papiers pour l’emploi, pour les impôts, la demande de CAF et toutes les démarches administratives. Elle n’imagine pas, elle-même, son fils pouvoir se débrouiller seul. En travaillant il acquiert, de l’avis de son directeur, une certaine autonomie, mais surtout, 3 ans plus tard, il rencontre sa petite amie qui va le pousser à quitter le « quartier » et le foyer maternelle pour prendre un appartement. Un an plus tard ils vont décider d’emménager ensemble. Depuis que son contrat de travail à la radio n’a pas été renouvelé, je ne le revois plus sur le « quartier ». Il n’y vient plus du tout. S’il se rend chez sa mère, il ne me le fait pas savoir, ou ne passe pas à la radio. Il ne traîne plus sur la place (du Châtelet), dit bonjour rapidement à des copains qu’il peut y croiser. Ce n’est pas non plus qu’il parle du « quartier » pour en dire du mal, mais il n’en parle plus du tout. Nos conversations, contrairement à celles avec d’autres anciens collègues ou habitants que je peux rencontrer, n’abordent pas du tout le sujet du « quartier ».
Pour ceux qui « restent », on ne cesse d’entendre dans leur bouche, à propos des « Hauts de Rouen », qu’auparavant « c’était une cité avec des tas de fonctionnaires »[27]; summum de la stabilité professionnelle pour certains (que la majorité d’entre-eux ne connaissent pas) et de la « normalité » face à un quartier « rongé » par le chômage aujourd’hui. On entend aussi qu’« avant les logements ont été faits pour des riches » et qu’à l’époque de leur construction les appartements correspondaient à du « très haut standing ». Après un reportage télévisuel dans l’émission « Capital », sur la chaîne de télévision M6, montrant dans les années soixante la construction des banlieues en France et des films promotionnels d’époque représentant la vie d’un couple bourgeois dans des appartements de grand immeuble, je n’ai pas échappé le lendemain aux remarques d’amis sur le « quartier »: on me répète sans cesse une autre existence du « quartier », un autre passé, plus glorieux, qu’ils n’ont pourtant pas, pour être trop jeunes, pu vivre, mais dont la connaissance, apparemment, se transmet d’individu en individu, et dont les images télévisuelles, pour une fois non-accusatrices, créent peut-être le souvenir. Ils sont fiers de la confirmation télévisuelle de leurs propos antérieurs, Ils me donnent les images comme la vérification de ce que je n’ai pas pu voir et donc croire. « Pas vu pas cru » pourrait-on dire, il faut donc montrer, faire voir à celui étranger à cet espace qu’est le « quartier ». La preuve par l’image, là où d’habitude la télévision développe des images dévalorisantes de la banlieue. Finalement le salut, comme le malheur, viennent par l’image. La vérité et la sincérité des images et de l’image télévisuelle sur le « quartier » sont importantes dans un espace où « les habitants de la cité pourtant témoins privilégiés des événements ou des non-événements qui s’y déroulent, se voient dénier toute forme de compétence lorsqu’il s’agit de raconter leur univers et de le soustraire à l’image caricatural dont il est victime. Précisément parce qu’ils appartiennent à cet univers déprécié, on ne les croit pas, et leur témoignage est soupçonné de façon immédiate d’insignifiance et de parti pris. »[28]. Mais l’habitant du « quartier » n’est pas le seul à voir sa parole remise en cause ou dénigrée:
[ Note de Février 2002]: J’ai eu l’occasion de me retrouver chez une amie travaillant comme cadre supérieur pour un grand groupe français international, ayant son siège à la défense, et une de ses collègues de travail avec qui elle vit. Je ne sais comment la discussion est venue porter sur la présence des étrangers en France. Le sujet ayant été introduit, d’une manière assez incongrue, par un « Mais tu te rends compte les français combien ils paient d’impôts pour les étrangers qui viennent pour toucher les allocs... » profondément teinté de racisme. Durant la suite de la discussion, les arguments ont continué dans le même sens, accusant les étrangers des quartiers défavorisés de ne pas vouloir, tout simplement, travailler. Des propos la plupart du temps coupés de toute réalité historique. De mon côté j’ai tenté de faire valoir mon expérience des quartiers, connue des personnes présentes, et mon propre vécu pour raconter une partie de la réalité, en vain. A vrai dire la conversation s’est close en remettant en cause ma propre expérience et en soulignant mon incapacité à juger, puisqu’il m’a été reproché de « trop vouloir les ( les habitants) comprendre avec mes entretiens» et d’être « trop naïf »; ainsi « Ils (t’) ont menti », tout le monde m’avait menti.
Evidemment le comble étant, pour l’ethnologue qui a fait de nombreuses observations, ou celui qui connaît une expérience de vie dans les quartiers populaires, de subir, après avoir subi lui-même les violences symboliques et réelles du « quartier », de tels propos de la bouche de quelqu’un qui n’a jamais mis les pieds dans une « cité ». La situation est ubuesque, elle m’a surtout imposé un rapport de dominant-dominé déchirant puisque la discussion remettait en cause directement le monde que je fréquente tous les jours, où je m’amuse, où je passe du temps avec plaisir et où j’y ai des amis. Tout cela détruit et dénoncé par des propos culpabilisateurs et dominateurs infligés par une jeune femme qui travaille comme cadre dans une grande société internationale de la haute économie, avec siège à la Défense. Si de tels propos m’ont affligé et touché personnellement, on peut alors imaginer leurs effets sur celui qui habite le « quartier » depuis toujours. Même si ce type de rencontre entre la « haute économie » et les « quartiers » parait improbable, ce type de discours n’est pourtant pas inconnu des gens du « quartier ». J’entendrais le jour du repas de quartier, de la bouche de l’animateur de la journée, ce que j’aurais pu prendre pour une consolation à cette incapacité d’écoute et de « croire » des « riches »:
[Note de juin 2003] Le jour du repas de quartier, l’animateur dans un élan théâtral s’exprime sur l’estrade à tous avec son micro: « On dit souvent que nous sommes dans un ghetto. Nous sommes pauvres mais nous avons quelque chose que les riches n’ont pas, nous avons l’amitié. Nous sommes des pauvres riches. »
Comment pourrait-on écouter l’autre sans un rapport d’amitié? Dans ce qui semble opposer riches et pauvres, les habitants du « quartier » ont aussi leurs armes (de préjugés certes et quelque peu populistes), voire le privilège de l’attaque.
Pour d’autres causes les habitants eux-mêmes ont des raisons pour ne pas croire certains témoignages d’habitants: les jeunes, entre 20 ans et 25 ans, ont du mal à croire Momo quand il leur raconte ses cueillettes de fruits des bois dans son enfance et se fait doucement charrier par leur incrédulité. Une incrédulité ponctuée de « Nooon!!! » et de « Arrête c’est pas possible !» ironiques qui semblent plus exprimer une non-possibilité de retour en arrière, au vu de la vie dans la cité aujourd’hui, que la non-existence du fait en lui-même. En effet, comment revenir en pensées et souvenirs à ce passé bucolique qu’ils n’ont pas vécu, en partant du portrait et de la réalité du « quartier » aujourd’hui, même si l’on veut croire Momo?
Aujourd’hui peu sont ceux qui veulent habiter dans les immeubles locatifs des « Hauts de Rouen », encore moins les fonctionnaires qui avec leur statut professionnel peuvent espérer satisfaire aux conditions, le plus souvent devenues draconiennes, des bailleurs du locatif privé en centre-ville. La vacance des logements est importante, et celui qui n’est pas regardant, quant à la localisation de son appartement, peut emménager dans les huit jours sur le « quartier »: «Mais alors faut voir où ils vous mettent » annonce une nouvelle habitante qui se plaint de la vétusté et de la saleté des habitations. La vacance des logements est très importante et la municipalité fait de gros efforts pour attirer de nouveaux locataires et éviter les pertes financières de l’office d’HLM. Pendant ce temps si personne ne se bat pour venir s’installer sur les « Hauts de Rouen », beaucoup veulent en partir mais qui n’y arrivent pas. Certains habitent depuis 30 ans sur les « Hauts de Rouen » et font des demandes de logement en centre-ville, depuis au moins 10 ans, qui n’aboutissent pas[29].
Dans le même temps il semble que les employés de l’office HLM ne se permettent pas de demander, à certaines personnes recherchant un logement, si elles veulent un appartement sur les « Hauts de Rouen »; comme cela est arrivé à une jeune mère de famille, professeur de philosophie à l’éducation nationale, qui s’étonnait après un entretien pour une demande de logement HLM qu’on ne lui ait pas proposée les « Hauts de Rouen ». Les ethnologues eux-mêmes observent de nombreux étonnements, de la part de leur entourage, quand ils décident de s’installer, pour leur recherche, dans des quartiers pauvres qui ne semblent pas correspondre au standing que sous-tend notamment leur capital culturel ou leur statut social estimé[30]. Les agents de l’office HLM, pour proposer ou ne pas proposer un logement sur les « Hauts de Rouen », se basent de toutes évidences sur les fiches de paye ou les déclarations de revenus qui sont demandées aux futurs locataires. L’étonnement ne correspond pas seulement à une inadéquation mathématiques du prix du loyer avec les revenus déclarés, mais bien à un fossé imaginé entre les habitudes sociales de l’individu et celles des gens du « quartier ». Comme si l’agent de l’office évaluait un possible écart du statut social et de l’apparence sociale que donne le demandeur de logement avec l’image du « quartier ». Comme si à partir du revenu était estimé, imaginé un statut social plus ou moins élevé, avec ses habitudes, ses « coutumes » dont on mesure l’adéquation ou pas au mode de vie sur le « quartier ». En déclarant, souvent de manière anecdotique, que personne ne se bouscule pour habiter le « quartier »[31], l’agent de l’office HLM donne déjà une information, sur ce à quoi l’on doit s’attendre « là-haut », non dénuée de prévenance et d’avertissement à l’égard du demandeur de logement. Quand une inadéquation est relevée, entre le statut social et les conditions de vie sur le « quartier », l’incompréhension peut faire place: on ne comprend pas comment l’on peut vouloir habiter dans un tel lieu où personne ne veut se rendre, encore moins y habiter![32]. Evidemment on peut penser que l’espace du « quartier » serait réservé à certains et interdit à d’autres. Ce sentiment est plus exarcerbé encore, quand on observe dans le lieu la forte concentration de populations immigrées, notamment d’origine africaine, et quand certains habitants voient leur quartier comme un véritable « ghetto » pour immigrés. On aura conscience de la polémique concernant la transposition du terme de « ghetto » aux banlieues françaises[33], mais c’est bien là le terme qu’emploient les habitants à propos du Châtelet. Le terme est utilisé par Chico, même s’il semble qu’il s’agisse d’une utilisation « par inversion symbolique, comme faire valoir d’une identité marginale valorisée » [34] qui, pour donner rendez-vous dans deux jours à son copain Mo demandant où ils se reverront, lui répond:
« Chico - Mais je suis là frère, tu pourras me trouver dans le ghetto.
Mo - Tu seras où?
Chico - Mais là sur la place même, je bouge pas, je suis toujours là »
Les habitants ont l’impression d’être « parqués », coincés dans un lieu banni par une décision « volontaire », un racisme larvé. Ce vécu du « quartier » pose la question d’une assignation à l’espace et d’un sentiment d’enfermement.
Une véritable assignation à l’espace se dessine: « Par assignation nous entendons les faits qui ont trait aux lieux où groupe ou individus doivent se tenir. »[35]. Les habitants sont souvent renvoyés à leur lieu d’habitation déprécié, et ce quotidiennement. C’est même un phénomène d’identification qui se passe souvent, quand le lieu change la définition des personnes. Franck, un jeune de 25 ans, qui s’est installé aux Sapins depuis qu’il travaille, raconte comment, lors des contrôles de police, le « quartier » le poursuit:
Franck: « Le pire c’est quand i t’arrêtent. I regardent tes papiers i voyent les Hauts de Rouen... non même pas! I regardent ton adresse ( Il fait un geste de suivi de lecture de l’index, sur une carte d’identité virtuelle dans sa main ouverte). et i voient allée machin... i te disent ahh... mais c’est sur les Hauts de Rouen ça! Et tu deviens autre chose. Au départ t’es seulement jeune, louche, et après, en plus, des Hauts de Rouen. Ca devient code rouge, orange là. ».
C’est encore une assignation à un espace qu’on note, dans le langage courant, avec l’expression « jeunes des banlieues ». Dans un rappel sur l’origine géographique des « jeunes », une identification s’opère: « Soit que les lieux désignent des personnes ou des qualités des personnes qui les habitent, soit que les individus se référent aux lieux comme une manière de se rattacher à un espace social, les deux n’étant pas exclusifs » [36]. Les « jeunes du quartier » sont renvoyés à l’espace déprécié de la « banlieue »; le lieu les définit, les classe même; et eux à leur tour définissent le lieu; sans pouvoir dire quel est le sens de la causalité. De plus pour identifier, désigner, il faut localiser où se répartit dans l’espace le phénomène identifié; et pour localiser il faut désigner, nommer ce qui est sur place. Reste qu’ici les individus sont plus dits par rapport à un lieu que le lieu n’est dit par rapport à eux. Les « jeunes de banlieue » sont reconnus, identifiés comme tels d’après, notamment, leur « dégaine », leur tenue vestimentaire ( casquette, sur-vêtement, port de certaines marques de vêtements), et notamment la façon de parler reconnaissable par nombre de personne tant l’individuation sociolinguistique[37], soit le processus des « particularismes » langagiers d’un groupe donné qui l’oppose aux autres groupes, est repérable. En conséquence les « jeunes de banlieue » restent de banlieue même en dehors de l’espace qui les qualifie, mais en leur absence la banlieue ne leur est pas exclusivement dédiée et ne se définit pas seulement autour de leur identité.
Dans les phénomènes d’assignation, d’identification à l’espace, on retiendra la diffusion d’un reportage sur la première chaîne française, dans l’émission « 7 à 8 », en Février 2002, où était interviewé un jeune garçon, avec la « dégaine » de la culture de la rue, dans une cage d’escalier. Le lieu peut paraître surprenant pendant qu’en général, pour faire une interview, on s’arrange toujours pour trouver un endroit plus ou moins convivial ( en général chez l’interviewé ou dans un café), dans tous les cas beaucoup plus confortable que les marches d’une cage d’escalier. Mais dans le climat politique de la campagne pour les élections présidentielles 2002 et de sa « chasse à l’insécurité », ou encore l’élaboration de la loi sur la sécurité quotidienne qui interdit notamment le rassemblement de groupes de plus de dix personnes dans les halls d’immeubles, ce type de décor et cette assignation semblent apparaître naturels. Finalement les « jeunes du quartier » peuvent effectivement se tenir souvent dans les cages d’escalier, tout comme ils peuvent aussi « tenir le mur » dehors, sans que l’on sache qui participent le plus à l’assignation; ceux qui agissent ou ceux qui observent. L’assignation est-elle organisée volontairement? Ou est-ce le fruit de celui qui nomme après avoir observé? Reste que cette assignation des « jeunes de banlieue », si elle est répandue et acceptée dans le langage courant, est loin de l’être chez les « jeunes » eux-mêmes. On peut revendiquer une appartenance forte à un espace comme son quartier, même si celui-ci est un quartier stigmatisé, mais accepter l’assignation à cet espace de la part des autres est moins évident.
Les effets d’assignation ou d’identification sont mal ressentis parce qu’évidemment ils renvoient à un espace stigmatisé, et que les habitants semblent être irrémédiablement liés à ce « quartier » et devoir en supporter toute l’image négative. Ils se plaignent des discriminations qu’ils ressentent pour le travail ou, comme ci-dessus, lors de contrôles de police où Franck se demande encore pourquoi, lui qui n’a pas vécu toujours sur les « Hauts de Rouen », les policiers mettent l’accent sur son adresse physique, comme si elle devait apporter des informations essentielles supplémentaires pour le définir lors du contrôle de son identité. Le plus vexant, sans doute, étant le changement d’attitude de l’agent de police qui peut devenir plus familier avec l’interpellé, moins poli, plus dur; tout changement de comportement qui, sur le simple fait de la constatation du lieu d’habitation, est ressenti comme une injustice. Les habitants portent le stigmate d’habiter un quartier stigmatisé, comme si, à travers le phénomène d’identification à l’espace, le stigmate se communiquait aux individus, comme une contamination par l’espace. C’est l’une des raisons pour lesquelles Fred ne parle plus du « quartier », que d’autres qui ont quitté le « quartier » ne veulent pas le défendre pour ne pas réactiver l’identification à l’espace et donc se voir réaffublés du stigmate (d’habiter un quartier stigmatisé) ou encore devoir représenter à l’intérieur de la catégorie des stigmatisés, une catégorie de stigmatisés qui s’en serait sortie. L’expérience du « quartier », le vécu des habitants, sont dénigrés avec l’espace ou sont considérés comme un parti pris, parce que la tentative d’un « contaminé » par son espace, pour réhabiliter ce dernier, est perçue comme la tentative de réhabilitation de sa propre personne aux yeux des autres. Or la réaction de défense du stigmatisé n’est alors vue que comme une preuve supplémentaire de la réalité du stigmate[38], ce qui n’encourage pas, donc, à réagir. Cercle vicieux dont les habitants n’arrivent pas à se dégager.
On voit bien comment à travers le terme « banlieue » est sous-entendu un espace socialement défavorisé et l’effet de naturalisation dont parle Pierre Bourdieu[39]. On voit aussi comment la réputation du « quartier » poursuit ses habitants, sans que l’on sache, tout à fait, si dans la stigmatisation on désigne l’espace ou les individus. Qui désigne quoi? Ou quoi désigne qui? Parce que l’assignation à l’espace procède notamment de l’identification et inversement[40]. Il y a un lien certain entre la valeur symbolique attribuée à l’espace et celle donnée aux individus qui l’habitent.
Mais l’effet qui est le plus explicitement exprimé est celui de l’« enfermement ». Quand l’animateur du repas de quartier dit « On dit souvent que nous sommes dans un ghetto. Nous sommes pauvres mais nous avons quelque chose que les riches non pas, nous avons l’amitié. Nous sommes des pauvres riches. », il signifie aussi cet entre-soi des gens du « quartier » qui s’exprime à travers l’amitié. L’amitié, qu’ils seraient seuls à posséder et que personne ne voudrait partager avec eux, pourrait leur servir d’arme de consolation, mais est aussi une arme à double tranchant en renforçant les liens d’interconnaissance sur le « quartier », et donc leur isolement et enfermement. L’entre-soi des gens du « quartier » qui, il faut le dire, est un entre-soi des gens d’origine étrangère, même s’il est aussi la possibilité de préserver des liens sociaux forts dans des quartiers en déliquescence[41] est une forme d’enfermement social et culturel reconnus par beaucoup:
[Note de décembre 2001] Lors d’une interview radiophonique de Stéphane sur la présence des minorités visibles à la télévision, un client du café de la place lui parle du métier de journaliste et déclare que c’est important d’avoir « des gens en rapport avec la culture sur le quartier, des journalistes, ça manque ». Soulignant le fait que ce sont toujours des gens démunis qui sont ici, qu’« ici on est entre noirs et arabes ».
Mais l’enfermement est aussi vécu physiquement, à travers le rapport spatial entre un extérieur et un intérieur. Le jour du repas de quartier l’animateur comparera son enfance en Algérie à celle du « quartier »:
[Note de juin 2003] L’animateur: « Quand j’étais jeune au bled[42], j’avais des amis qui habitaient à 40 kilomètres. Aujourd’hui les jeunes i connaissent pas leurs amis au-delà de 500 mètres. Ils ne sortent plus de leur quartier. Ils ne vont plus voir ailleurs ». Un murmure d’acquiescement est venu accompagner sa parole dans le public composé majoritairement de femmes.
Lors de la visite du maire sur le « quartier », j’ai eu l’occasion d’enregistrer Touré, un jeune de 16 ans du « quartier », en compagnie d’un de ses copains que je ne connaissais pas, qui parlant de ce que l’on pourrait faire pour le « quartier » explique (d’une manière très vive) la nécessité d’une ouverture sur l’extérieur, sur un extérieur de découverte par rapport à un intérieur dénoncé comme une prison:
Touré - Il n’a fait que masquer la pauvreté (parlant de l’ancien maire), il n’a fait que masquer la pauvreté. Pour l’instant... tous les anciens mai... euh... tous les anciens maires ils z ont fait que marqu... masquer la pauvreté, voyons ce qu’i va faire le nouveau... voyons ce qu’i va faire
- Qu’est ce qu’i va faire à ton avis?
Son copain - Nous qu’est ce qu’on veut c’est du boulot, avant tout... c’est tout
Touré - Faut faire attention pour les jeunes, i faut offrir quelque chose de positif! Qu’est ce qu’i peut faire? Ben chais pas i peut nous ouvrir des associations...chais pas moi.. chais pas... y a...y a trop de trucs à faire mais... pfff... tellement y en a trop je sais même pas quoi dire. Moi ce que je vais c’est... c’est d’ouvrir une association... pour les jeunes! Moi aussi j’ai envie de faire ma loi, moi aussi j’ai envie de faire comprendre ce que j’ai senti, qu’est ce qu’i faut faire, qu’est ce qu’i faut pas faire! J’ai envie de leur faire découvrir la vie... en bas... dans le sud ( de la France)... y en a très peu qui z y vont dans le quartier y a aucun... aucuns jeunes qui vont en vacances dans le quartier, y en a aucun. pourquoi i z iront pas eux aussi? Moi j’ai envie d’ouvrir une association pour les jeunes, pour qu’i partent partout, pour qu’i découvrent c’est quoi la vie. La vie on... on sait pas c’est quoi la vie. A part la délinquance je sais pas ce qu’on connaît. I nous font rien découvrir d’autre, i nous font découvrir quoi? Qu’est ce qu’i nous font découvrir?
- Les C.R.S..? ( Durant les 7 jours qui ont précédé, les rondes ont été renforcées et surtout, chose beaucoup plus visible, les effectifs augmentés, les arrestations se sont succédées. Certains feront la corrélation avec la visite du maire dans le « quartier » à la fin de la semaine)
Touré - Les C.R.S... on est dans une prison! Croyez-moi on est dans une prison! On est là assis, on voit tous les jours la police elle tourne. On est dans une prison! On est déjà dans une prison, i mettent déjà la dé... les autres délinquants en prison. Ho! On est déjà dans une prison laissez-nous là où qu’on est, laissez-nous là où qu’on est! Franchement laissez-nous là où qu’on est. »
L’enfermement et le mot prison sont une notion et un mot qui semblent voguer depuis longtemps dans les quartiers pauvres; Colette Pétonnet en souligne déjà la présence dans son étude sur les zones de transit.
« Un mot est prononcé ici et là, en banlieue parisienne, comme à Casablanca, et que l’on n’entend pas. C’est le mot prison. On le refuse comme une incongruité, une exagération, ou une plaisanterie. La prison est le lieu fermé de l’incarcération. Où, comment situer dans la cité la privation de liberté qu’elle évoque? La cité n’empêche personne de vaquer à ses occupations. Ne pas connaître son devenir est il suffisant pour s’y croire incarcéré? L’architecture est-elle en cause ou la rigidité immuable du béton? Entre les cellules apposées il s’établit un code de communication par coups frappés sur le mur mitoyen, mais dans les vieilles maisons aussi l’on communiquait à coups de balai dans le plafond. Du reste le mot ne concerne pas tous les HLM, mais surgit brusquement à l’adresse de certains seulement sans que l’on sache pourquoi. Il serait donc improprement employé. Pourtant le langage populaire ne s’exprime jamais en vain. Il traduit toujours par un raccourci évocateur, non une idée, mais une réalité vécue. la formule concise de prison énonce brièvement ce que M.Foucault explicite longuement: « Le principe de « clôture » n’est ni constant, ni indispensable, ni suffisant dans les appareils disciplinaires. Ceux-ci travaillent l’espace d’une manière beaucoup plus souple et plus fine. Et d’abord selon le principe de la localisation élémentaire ou du « quadrillage ». A chaque individu, sa place; et en chaque emplacement un individu. Eviter les distributions par groupes; décomposer les implantations collectives; analyser les pluralités confuses, massives, ou fuyantes. L’espace disciplinaire tend à diviser en autant de parcelles qu’il y a de corps ou d’éléments à répartir. Il faut annuler les effets des répartitions indécises, la disparition incontrôlée des individus. Leur circulation diffuse, leur coagulation inutilisable et dangereuse... la discipline organise un espace analytique. ». Tous les habitants des cités de transit sont bien dans la situation décrite, individus répertoriés, dont on tient la comptabilité, classés, isolés, repérés, interdits de mouvement, chacun dans son logement assigné. Or dans les vieilles cités où l’espace extérieur était moins soumis à la rationalité actuelle, diverses plaintes s’élèvent, mais il n’est jamais fait mention de prison. Il faut donc, pour que le mot soit prononcé, que l’architecture soit perçue comme correspondant à la discipline administrative. C’est pourquoi il s’adresse de préférence à l’espace restreint et cellulaire du bâtiment bloc des cités neuves, celles où le terre-plein est désert. »[43]
Il est surprenant de voir la permanence de ce mot « prison » dans les cités[44]. On peut objecter qu’aujourd’hui les individus ne sont plus aussi « répertoriés (...), classés, isolés, repérés, interdits de mouvement » comme il est écrit, à propos d’une autre époque et de lieux avec un autre statut ( ici la cité de transit). Pourtant les habitants, le plus souvent démunis, ont conscience de n’être souvent que des « numéros » dans les différentes administrations qu’ils fréquentent: les numéros d’attente à la CAF[45] notamment. De même les « incessantes » injonctions de payer, pour ceux qui ont des difficultés à honorer leurs factures (comme cela a été le cas pour les factures d’eau au Châtelet que les habitants ne pouvaient pas payer. Ceux-ci se sont regroupés autour du centre social du Châtelet, pour demander des facilités de paiement à la société créditrice, notamment le paiement mensuel des factures[46]), leur rappellent sans cesse qu’ils ne sont pas « oubliés », qu’il y a un numéro de dossier de dettes qui les concerne quelque part, bref qu’ils sont « fichés ». Quant à l’isolement, ils le sentent et l’expriment quand ils se plaignent de voir « toujours les mêmes têtes », d’être « entre noirs et arabes ». Sans oublier les demandes de logement en dehors du « quartier » dont ils savent, sans illusions, qu’elles n’aboutiront jamais, qu’ils ne pourront jamais quitter les « Hauts de Rouen », parce qu’ils y sont déjà en quelque sorte. Que l’office HLM ne leur donnera pas de logement à l’extérieur parce qu’ils sont déjà installés sur les « Hauts de Rouen » et que s’ils partent ailleurs personne ne les remplacera, que l’office HLM ne veut pas perdre plus d’argent du fait de la vacance de ses logements.
L’architecture « perçue comme correspondant à la discipline administrative » tant la conscience est forte dans la population d’une architecture volontariste à travers les différents plans d’aménagement des « quartiers » qui se sont succédés: Le DSQ, aujourd’hui le GPV... La « discipline administrative » devient la manière dont on construit ces bâtiments démunis d’« Histoire » qui assomment les individus; c’est la rectitude des murs, des rues. La reformulation de l’espace du « quartier », par le biais du GPV, ne fait que renforcer le sentiment de la forte présence administrative et de la dépossession des lieux: L’architecture « perçue comme correspondant à la discipline administrative », c’est la reformulation exogène de l’espace du « quartier »[47]. Lors d’une discussion sur ce que pourraient faire les habitants pour le « quartier » à travers le tissu associatif, Momo, à qui j’ai l’audace de dire qu’il baisse les bras ( il a été un des animateurs socio-culturel de la première heure et est reconnu comme tel dans tout le « quartier »), en vient à me répondre, en montrant les immeubles: « C’est quand même pas moi qui l’ai fait ça ! ». C’est ce qui explique en grande partie le sentiment d’être « parqués » des individus et accentue l’impression d’enfermement. Pour les jeunes la seule présence de la police, ou des C.R.S. (continuation d’une « discipline administrative ») ne fait qu’augmenter l’impression de « prison » ( peut-être parce que leur seule présence les en rapproche). A cela il n’y a qu’une réponse: « laissez-nous là où qu’on est », qui ne fait qu’accentuer l’enfermement, et valide l’espace du « quartier » comme prison.
[1] Le Gras Corinne « Les représentations sociales de l’espace d’une commune de banlieue: Le Grand-Quevilly », L’information géographique, n°2, année 1988, pp 90-98. Voir également sur la cartographie mentale Le Gras Corinne, La cartographie mentale, une approche méthodologique. Le cas du Grand-Quevilly, mémoire de maîtrise de géographie, université de Rouen, Novembre 1987 ; étude faite sur une commune de l’agglomération rouennaise: Grand-Quevilly.
[2] Il en va de même quand les habitants rappellent, à ceux qui ne l’ont pas connu, l’emplacement des anciens immeubles démolis à l’époque du DSQ (programme national de Développement Social des Quartiers). Une dimension historique chère aux habitants qui a été habilement exploité par les responsables du GPV ( Programme national du Grand Projet de Ville, visant à l’amélioration de l’habitat dans les quartiers dit défavorisés) qui en faisant un petit journal d’information propose une double-page avec une photo du quartier actuelle et une autre accolée du quartier dans les années soixante. Le tout semblant vouloir construire une conscience historique du quartier dominé la plupart du temps plus par un sentiment de stigmatisation que d’historicisation. Un moyen pour tenter une revalorisation de ce territoire.
[3] Il existe tout de même des panneaux de la voirie indiquant la direction « Les Hauts de Rouen ».
[4] Guillorel Hervé, « Toponymie et politique », pp 61-91, in Akin Salih, Noms et re-noms, la dénomination des personnes, des populations, des langues et des territoires, Rouen, Publications de l’université de Rouen / CNRS, 1999.
[5] Op.cit.
[6] Dans ce même souci de recherche on pourraît s’intéresser aux noms désignant les immeubles. Le plus souvent des noms de savants et scientifiques inconnus de la plupart des individus. La dénomination exogène de l’espace semble déposséder les habitants de leurs lieux, plus encore quand ces noms ne sont pas rattachés à une culture commune avec les habitants. Ces noms de « sciences » semblent imposés par la culture dominante au détriment des « petits savoirs » des gens, ou des hommes de sciences de leur propre culture ( On pourraît peut-être aussi s’inspirer des noms de philosophes ou de grands voyageurs arabes ( Ibn Ruchd (soit Averroés), Ibn Battuta), ou d’intellectuels d’Afrique sub-saharienne ( Senghor) pour les noms de ces immeubles). Martine, une ancienne habitante durant les années soixante, ironise quand elle me raconte que le nom de l’immeuble Ernest Esclangon (astronome français (1876-1954) inventeur de l’horloge parlante) a d’abord été appelé, par erreur, André Esclangon. Une erreur qui semble souligner, pour elle, encore un peu plus le peu de cas que l’on fait du « quartier »; comme si cette erreur était improbable en centre-ville. Dans le même temps l’ironie la pousse à croire que tout le monde s’en fout puisque personne ne sait de qui il s’agit. Le désintéressement aux lieux n’est pas sans lien avec l’inconguité qu’il peut y avoir à nommer d’une manière si noble, des immeubles si vétustes et dégradés qu’on préférerait voir porter des noms bien plus « vulgaire », mais dans un état matériel meilleur.
[7] Rouen a été une des premières villes à développer les conseils de quartier. Depuis 1999 les conseils de quartier existent sur toute l’agglomération. Sur les « Hauts de Rouen », il en existe trois: les Sapins et Vieux-Sapins, celui du Chatelêtet-Lombardie et celui de la Grand-Mare. Ils sont composés d’habitants du quartier ou encore de personnes travaillant sur le quartier. Ils ont pour but de permettre aux habitants de discuter au sein de commissions, de la politique de la ville et de pouvoir faire des suggestions à la municipalité et au conseil municipal quand cela est jugé utile.
[8] A l’entrée nord de la Lombardie il existe un immeuble qui surplombe la route, véritable porche, porte d’entrée dans le quartier, qui marque un seuil évident. La route y passe en plein milieu; en passant sous l’immeuble on s’imaginerait passer « les portes de la ville ».
[9] Durand Gilbert, Les structures anthropologiques de l’imaginaire, Paris, Dunod, 11 éme édition, 1992.
[10] Cité dans Durand Gilbert, Op. cit. : Bachelard Gaston, L’air et les songes, et Terre et rêveries de la volonté.
[11] Paul Levy Françoise et Segaud Marion, Anthropologie de l’espace, Paris, CCI-Centre Georges Pompidou, 1983, p 73.
[12] Ce qui peut être physiquement faux du fait des phénomènes météorologiques d’inversion des couches d’air et de l’absence de vent pour chasser la pollution.
[13] Paul Levy Françoise et Segaud Marion, Op.cit. p 73.
[14] Op.cit.
[15] Il faut noter les conseils fréquents qui sont faits aux individus, qui ne connaissent pas la ville, pour éviter les lieux « indésirables »; il y a alors des limites à ne pas franchir. On trouve le cas chez les touristes visitant Harlem, à New York, auxquels on conseille vivement de ne pas dépasser certaines avenues; et Phillipe Bourgeaois, dans son livre Le crack à New york, en quête de respect, identifie bien les avenues qui marquent les limites entre le quartier de son enquête, le Barrio et les autres quartiers de la ville, notamment les plus aisés. Enfin une scène de recherche de frontières et de limites intéressante se trouve dans le roman de Tom Wolfe, Le bûcher des vanités (en livre de poche), quand les personnages, issus du quartier riche de Manhattan, dépassent les limites qui leur sont connues et se perdent dans le Bronx, cherchant vainement à en sortir.
[16] Le « mur » de la hauteur, en d’autres lieux, protège aussi les quartiers bourgeois du reste de la ville en les mettant sur la hauteur.
[17] Véritable « mur » du front d’un plateau calcaire. La route qui mène sur les « Hauts de Rouen » est appelée la côte de la monumentale, en rapport avec le cimetière « le monumental » qu’elle longe, mais sans que l’on sache plus lequel des deux est le plus monumental au vu de la déclivité de la route.
[18] Bourdieu Pierre, « Effet de lieu », pp 249-262, in La misère du monde, Paris, Point Seuil, 1993.
[19] Retaillé Denis, Le monde du géographe, Paris, Presses de sciences po, 1997.
[20] Korosec-Serfaty Perla, « L’inscription de l’étrangeté et de la différence dans l’espace public, débat à partir du cas de Montréal » in Isaac Joseph, Prendre place, espace public et culture dramatique, Colloque de Cerisy, Editions Recherches-Plan Urbain, 1993.
[21] Ce qui pose la question de la centralité de ces lieux, voir op.cit.
[22] Voir le rapport d’Amnesty international.
[23] Les régies de quartier ont été fondées en France à la suite de l’expérience, au milieu des années soixante dix, à Roubaix, de l’APU, « Atelier Populaire d’Urbanisme », entité idéologiquement non-marquée qui vise à l’autogestion des habitants des grands ensembles. Aujourd’hui les régies de quartier tentent de développer des emplois d’insertion. Voir Bachmann Christian et Le Guennec Nicole, Violences urbaines, ascension et chute des classes moyennes à travers cinquante ans de politique de la ville, Paris, Hachette Pluriel, 2002, pp 287-290. A Rouen ces emplois concernent surtout des individus en fin de droit, avec une moyenne d’âge élevée.
[24] Sans doute est-ce lié à la peur de se faire « caillasser » la voiture à l’insigne de la radio et la conscience de la mauvaise réputation qu’ont les journalistes dans ces lieux, considérés comme les propagateurs des stéréotypes les plus infamants sur les quartiers populaires.
[25] Evidemment ce type de comportement en ma présence relève également du champ proprement journalistique et de la place que j’y tenais alors. Pendant que je travaillais à la radio du « quartier », j’ai eu à subir, lors d’une rencontre avec un journaliste d’une agence de presse, une leçon ampoulée sur ce qu’était du « vrai » journalisme après la révélation d’un scoop (mineur), péniblement arraché à la majorité politique du conseil général, avec les us et coutumes relationnelles habituelles en de tel cas. Le travail de terrain journalistique sur les « Hauts de Rouen » ferait plutôt office d’apprentissage pour la « bleusaille », à qui l’on fait régulièrement subir l’épreuve du micro-trottoir, symbole du premier travail de « terrain » en journalisme. Il semblerait que plus le temps passe et que plus le journaliste, tout au long de sa carrière, s’éloigne du terrain comme une récompense et un gage de sérieux. Il faut donc peut-être voir les propos qui précèdent à l’aune de ces considérations.
[26] A moins d’un souci philanthropique dont, j’ai l’impression, on m’étiquette chaque fois que je déclare travailler sur les quartiers dit « défavorisés ».
[27] Il s’agit d’un quota de logements réservé par la préfecture à des fonctionnaires.
[28] Villechaise-Dupont Agnès, Amère banlieue, les gens des grands ensembles, Paris, Grasset, 2000, p76.
[29] De toute évidence les habitants sans appuis politiques n’appartiennent pas au bon circuit relationnel. Alors que je cherchais un logement à Rouen-centre, en demandant à une amie, membre d’un parti siègeant au conseil municipal, comment elle avait obtenu son appartement HLM en centre ville, elle me répondit que cela s’était fait par le biais de son activité politique. Une ancienne collègue de la radio ne se cache pas d’avoir obtenu son F3 HLM, en plein centre-ville, grâce à un « piston » politique du président de l’office HLM lui-même qu’elle a rencontré durant son travail, et qui lui a fait l’explicite proposition de s’adresser à lui si elle cherchait un logement; ce qu’elle a fait après avoir tenté de passer par la voie normale sans succés. Le directeur de la radio a lui été surpris d’obtenir, 8 jours après son dépôt de demande de logement à l’office HLM, une proposition de logement malgré son salaire élevé puisqu’il paie aujourd’hui, après avoir accepté l’offre, le supplément de loyer du fait de ses revenus dépassant l’échelle des critères sociaux des HLM. Il est possible d’avoir un logement en centre-ville, à condition de faire partie de la circularité des echanges mondains dont parlait si souvent Pierre Bourdieu.
[30] Voir à ce titre les expériences de Lepoutre David, Coeur de banlieue, codes, rites et langages, Paris, Poches Odile Jacob, 2001 et Bougeois Phillipe, En quête de respect, le crack à New York, Paris, Seuil, 2001.
[31] Voir Lepoutre David, Op.cit. p 40.
[32] Bourgeois Phillipe, Op.cit.
[33] Voir à ce sujet Wacquant Loic, « Pour en finir avec le myhte des « cités-ghettos » in Annales de la recherche urbaine n°54, Paris, pp 21-30. Voir également la critique de Lepoutre David, Op.cit. p 84.
[34] Lepoutre David, Op.cit. p 85.
[35] Paul Levy Françoise et Segaud Marion, Anthropologie de l’espace, Paris, CCI-Centre Georges Pompidou, 1983, p165.
[36] Op.cit.
[37] « Par individuation on entendra l’ensemble des processus par lesquels un groupe social acquiert un certain nombre de particularités de discours qui peuvent permettre de reconnaître, sauf masquage ou simulation, un membre de ce groupe » in Gardin bernard et Jean-Baptiste Marcellesi, Introduction à la sociolinguistique: la linguistique sociale, Paris, Larousse, 1974, p 231.
[38] « Il arrive que nous percevions la réaction de défense qu’a l’individu stigmatisé à l’égard de sa situation comme étant l’expression directe de sa déficience et qu’alors nous considérions à la fois la déficience et la réaction comme le juste salaire de quelque chose que lui ou ses parents, ou son peuple, ont fait, ce qui, par suite, justifie la façon dont nous le traitons » Goffman Erving, Stigmate et usages sociaux des handicaps, Paris, Editions de Minuit, 1975, p16.
[39] Bourdieu Pierre, Op.cit. Il existe aussi des quartiers aisés en banlieue de la ville, mais il ne sont pas appelés « banlieue ».
[40] Paul Levy Françoise et Segaud Marion, Op.cit.
[41] Villechiase-Dupont Agnès, Amère banlieue, les gens des grands ensembles, Paris, Grasset, 2000, pp 124-125
[42] Au village, ou au pays.
[43] Pétonnet Colette, On est tous dans le brouillard, Paris, CTHS, 2002, pp 173-174.
[44] L’étude de Colette Pétonnet date de la fin des années soixante dix.
[45] Caisse d’Allocation Familiale.
[46] L’Histoire se répète puisqu’au milieu des années soixante-dix, ce type de mobilisation, autour des factures d’eau et la demande de mensualisation des factures, a eu lieu avec les APU, à Roubaix. Mais les années passant, il semble que la motivation et le militantisme qui caractérisaient l’APU, se soient un peu flétris.Voir Bachmann Christian et Le Guennec Nicole, Violences urbaines, ascension et chute des classes moyennes à travers cinquante ans de politique de la ville, Paris, Hachette Pluriel, 2002, pp 287-290.
[47] Paul Levy Françoise et Segaud Marion, Op.cit.